Section précédente 1. Considérations générales de prise en charge avant, pendant et après la grossesse chez une femme ayant subi un AVC Prochaine section 3. Considérations de prise en charge dans certains cas d’AVC ischémique survenant pendant une grossesse
Prévention de l’AVC pendant la grossesse

2. Considérations spécifiques sur la prise en charge pour la prévention secondaire de l’AVC pendant la grossesse

6e édition, MISE À JOUR juin 2018


2A. Utilisation des antithrombotiques pendant la grossesse (antiplaquettaires et anticoagulants) après un AVC ischémique ou un accident ischémique transitoire
  1. La prise de décisions concernant l’utilisation d’antithrombotiques peut être complexe et un examen multidisciplinaire peut être nécessaire pour évaluer les risques et les avantages de chaque option, tant pour la mère que pour le fœtus.
    1. Les décisions en matière de thérapie antithrombotique peuvent être personnalisées et peuvent être éclairées par de nombreux problèmes, tels que :
      • l’étiologie de l’AVC et le risque de récidive d’AVC qui l’accompagne en dehors de la grossesse (p. ex., prothèse valvulaire par rapport à un AVC cryptogénique);
      • la gravité de l’AVC, le temps écoulé depuis l’AVC (p. ex., le risque de saignement est plus élevé avec des infarctus plus graves et plus récents);
      • le stade de la grossesse (p. ex., le risque d’AVC pendant la période périnatale et la période post-partum est plus élevé que pendant le premier et le deuxième trimestre).
    2. Si l’on envisage l’anticoagulation, il faut prendre en considération les antécédents médicaux et obstétricaux d’une femme en plus des facteurs énumérés ci-dessus. Par exemple, une femme ayant des antécédents de travail prématuré ou d’accouchement rapide peut être exposée à un risque plus élevé d’accouchement prématuré ou rapide, ce qui complique l’arrêt planifié de l’HFPM.
  2. Chez certaines femmes ayant survécu à un AVC ischémique dont le mécanisme sous-jacent a été résolu, dont le risque résiduel est présumé comparable à celui de la population générale et qui ne sont pas déjà traitées par antithrombotiques, il est raisonnable de ne pas commencer une prophylaxie antithrombotique pendant la grossesse.
  3. Si les agents antiplaquettaires (clopidogrel, acide acétylsalicylique, acide acétylsalicylique combiné à de la dipyridamole à libération prolongée, ticagrelor) sont indiqués ou déjà utilisés en prévention de l’AVC, il est préférable de passer à l’acide acétylsalicylique (AAS) à faible dose (81 mg par jour) avant la grossesse ou une fois la grossesse confirmée.
    1. Il n’y a pas suffisamment de données probantes pour soutenir l’innocuité des agents antiplaquettaires autres que l’AAS pendant la grossesse. Cependant, il peut y avoir des cas où d’autres agents antiplaquettaires sont cliniquement indiqués et il convient de traiter ces situations au cas par cas (p. ex., le clopidogrel pour les patientes ayant une endoprothèse coronarienne).
    2. Chez les femmes pour qui les agents antiplaquettaires seraient recommandés en prévention de l’AVC, l’AAS à faible dose est raisonnable avant la conception, au premier trimestre et pendant le reste de la grossesse.
      Remarque : Les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ont été associés à une fermeture prématurée du canal artériel lorsqu’ils sont utilisés au cours du troisième trimestre et peuvent altérer la fonction rénale fœtale. L’AAS à faible dose, bien qu’il s’agisse d’un AINS, ne semble pas entraîner d’augmentation du risque de fermeture prématurée du canal artériel dans les essais cliniques, et aucune augmentation de l’insuffisance rénale fœtale n’a été signalée. D’autres lignes directrices22 reconnaissent des études de cas témoin suggérant la possibilité que le risque accru de gastroschisis soit associé à la prise d’AAS avant la onzième semaine de grossesse. Les résultats d’ECR plus récents (y compris les essais EAGeR29 et ASPRE31) qui utilisaient l’AAS à faible dose avant la conception (81 mg) ou après 11 semaines (150 mg) pour réduire les risques de fausse couche ou le développement de la prééclampsie n’ont pas montré de risque accru d’événements indésirables graves lorsque l’AAS est utilisé pendant la grossesse.
    3. L’AAS à faible dose peut être envisagé pendant l’allaitement, car il est prouvé que l’acide acétylsalicylique n’est pas excrété dans le lait maternel et que le taux de salicylate est faible chez les femmes qui prennent quotidiennement de l’aspirine à faible dose. Des doses quotidiennes plus élevées d’AAS peuvent présenter des risques supplémentaires, incluant des risques possibles d’acidose métabolique et des risques théoriques de syndrome de Reye chez les nourrissons exposés à de fortes doses d’acide salicylique. 39-41
  4. La warfarine est potentiellement tératogène et doit être évitée, en particulier entre 6 et 12 semaines d’âge gestationnel. Lorsqu’un traitement anticoagulant est envisagé, il est préférable d’utiliser l’héparine de faible poids moléculaire (HFPM), et ce, pendant toute la grossesse.
    1. IDans certaines situations rares avec des indications très fortes pour la warfarine (p. ex., les femmes avec une valve cardiaque mécanique), il peut être nécessaire de collaborer avec des experts en thrombose. Dans ces situations, le passage à une solution de rechange à la warfarine peut être envisagé dès la découverte de la grossesse, et le traitement avec la warfarine peut être repris après la douzième semaine de grossesse jusqu’à l’accouchement. Une prise en charge multidisciplinaire est préférable lorsque ces situations se présentent. 7
  5. Les données sur l’innocuité des anticoagulants oraux directs (apixaban, dabigatran, edoxaban, rivaroxaban) pendant la grossesse sont insuffisantes. Le passage à l’HFPM est encouragé dès qu’une grossesse est connue ou planifiée.
  6. Dans certaines circonstances, des doses thérapeutiques d’HFPM peuvent être considérées comme une solution de rechange raisonnable à l’AAS ou des doses prophylactiques avec ou sans AAS à faible dose pourraient être envisagées. Par exemple :
    1. Une femme considérée à risque élevé d’AVC ou de thrombose (par exemple victime de plusieurs AVC),
    2. Une femme ayant un trouble d’hypercoagulabilité connu (par exemple, le syndrome des antiphospholipides).
  7. L’HFPM à faible dose doit être arrêtée au moins 12 heures avant l’administration de l’anesthésie régionale, et l’HFPM à dose complète doit être arrêtée au moins 24 heures avant l’anesthésie régionale ou l’induction planifiée. 7
  8. L’utilisation d’héparine non fractionnée par voie intraveineuse selon des protocoles locaux normalisés pourrait être envisagée en remplacement de l’HFPM chez une femme hospitalisée, en particulier si l’on craint d’avoir à recourir à un accouchement urgent ou à des interventions invasives.
    1. Lorsqu’on utilise de l’héparine non fractionnée par voie intraveineuse, un nomogramme d’ajustement à faible dose pour les patientes atteintes d’un syndrome coronarien aigu, sans bolus, est préférable chez les patientes victimes d’un AVC, et serait également préférable pendant la grossesse.
  9. Les HFPM ou l’héparine non fractionnée peuvent être reprises 4 à 6 heures après le retrait du cathéter neuraxial si le saignement est bien contrôlé et s’il n’y a pas de préoccupation quant à de possibles complications liées à la technique neuraxiale, et le traitement poursuivi pendant 6 à 12 semaines après l’accouchement.
  10. De 6 à 12 semaines après l’accouchement, envisager la reprise de l’antithrombotique recommandé en dehors de la grossesse, en tenant compte des problèmes concernant l’allaitement maternel (voir la section C ci-dessus pour les liens) et de la planification de grossesses futures.
    1. Si une anticoagulothérapie est nécessaire, l’héparine de faible poids moléculaire et la warfarine sont toutes deux considérées comme des options sûres pendant l’allaitement. L’innocuité des anticoagulants oraux directs lors de l’allaitement n’a pas été établie.
2B. Prise en charge de la pression artérielle pour la prévention de l’AVC (ischémique et hémorragique) pendant la grossesse
  1. La prise en charge pharmacologique et non pharmacologique de l’hypertension pendant la grossesse est examinée en détail ailleurs : 6, 18
    1. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA) – deux classes de médicaments utilisés en prévention de l’AVC – présentent un risque accru de complications fœtales (insuffisance rénale) et de faible volume de liquide amniotique, surtout après le premier trimestre. Ces médicaments doivent être arrêtés avant la grossesse ou dès qu’une grossesse est connue.
      • S’ils ont été pris par inadvertance, une consultation rapide dans un centre régional pour une échographie structurale fœtale détaillée et un encadrement sont recommandés.
    2. Les médicaments oraux de première intention couramment utilisés pour contrôler la pression artérielle au cours de la grossesse sont le labétalol, la méthyldopa et la nifédipine à action prolongée. 6 Le choix d’un antihypertenseur doit prendre en compte les profils d’effets secondaires pour la femme, le fœtus ou le nouveau-né.
  2. Toutes les femmes chez qui des problèmes d’hypertension apparaissent pendant la grossesse doivent rapidement faire l’objet d’une investigation et être examinées par un expert dans la prise en charge de l’hypertension pendant la grossesse. Après 20 semaines d’âge gestationnel, le diagnostic différentiel doit toujours inclure la prééclampsie, qui doit être identifiée pour une prise en charge obstétricale et fœtale appropriée.
  3. Au cours de la grossesse, les femmes ayant des antécédents d’AVC doivent avoir une pression artérielle systolique systématiquement inférieure à 140 mm Hg et diastolique constamment inférieure à 90 mm Hg. Voir la prise en charge de l’hypertension après un AVC dans le module sur la prévention secondaire de l’AVC des Recommandations et les lignes directrices 2014 de la SOGC pour la prise en charge de l’hypertension pendant la grossesse. 6
    1. Un suivi doit être effectué pour s’assurer que les objectifs sont atteints, pour détecter les hausses précoces de la pression artérielle ou la présence de protéines dans l’urine qui laissent soupçonner une prééclampsie, et pour éviter une hypoperfusion sévère.
  4. L’hypertension gestationnelle et la prééclampsie sont des troubles dynamiques liés à la grossesse qui nécessitent souvent une prise en charge en milieu hospitalier, une surveillance maternelle et fœtale, des examens de laboratoire répétés, un ajustement fréquent des médicaments et qui peuvent influer sur le moment de l’accouchement.
  5. La prééclampsie est un facteur de risque de maladie cardiovasculaire à long terme. Chez toutes les femmes souffrant de prééclampsie ou d’hypertension gestationnelle, le suivi à long terme de la prise en charge de la pression artérielle est raisonnable, car le risque d’hypertension, de coronaropathie, de maladie cérébrovasculaire ou d’artériopathie périphérique est accru. 44 Dans la situation particulière prise en considération dans le présent document (femmes enceintes ayant des antécédents d’AVC), le contrôle de la pression artérielle à long terme doit être optimisé pour atteindre les cibles recommandées pour la prévention secondaire de l’AVC. Voir la prise en charge de l’hypertension après un AVC dans le module sur la prévention secondaire de l’AVC des Recommandations canadiennes pour les pratiques optimales de soins de l’AVC.
2C. Statines en prévention des AVC ischémiques pendant la grossesse
  1. L’interprétation des taux de lipides n’est pas fiable pendant la grossesse en raison des changements physiologiques normaux de la grossesse et ne doit pas être utilisée pour guider les décisions concernant le traitement. En outre, les taux sériques de lipides ne doivent pas être mesurés de façon systématique pendant la grossesse. La prise en charge de première intention de la dyslipidémie comprend des conseils sur une alimentation saine et l’activité physique.
  2. Les données probantes sur l’innocuité des statines pendant la grossesse et l’allaitement sont insuffisantes. Il est raisonnable d’interrompre temporairement le traitement par statines avant la conception et tout au long de la grossesse.
  3. Le moment de la reprise ou de la prescription de statines pour la prévention secondaire de l’AVC après l’accouchement doit être déterminé en fonction de la situation clinique propre à chaque patiente (p. ex., présence de conditions à haut risque telles qu’un IM récent, compatibilité avec les plans d’allaitement maternel).
2D. Prévention des AVC pendant la grossesse en présence de diabète préexistant et de diabète gestationnel
  1. Les femmes souffrant de diabète pendant la grossesse (diabète préexistant de type 1 ou de type 2 ou diabète gestationnel) doivent faire l’objet d’un suivi rapproché fréquent par une équipe interdisciplinaire (le cas échéant) pour surveiller les complications maternelles et fœtales. La surveillance de la glycémie, la surveillance des autres facteurs de risque vasculaire et la gestion de l’apport en glucose pendant la grossesse et la période post-partum devraient respecter les lignes directrices établies (Diabète Canada 2013). 16
  2. Les tests de tolérance au glucose peuvent être envisagés plus tôt pendant la grossesse (par exemple à 20 semaines au lieu de 24 à 28 semaines) pour les femmes ayant des antécédents d’AVC considérées comme présentant un risque élevé de diabète gestationnel. 6, 16
  3. Il est raisonnable de fournir des conseils aux femmes ayant des antécédents d’AVC qui souffrent de diabète gestationnel et d’assurer un suivi à long terme par les soins primaires dans le but de faciliter les interventions ciblant le mode de vie pour réduire le risque futur de diabète et d’AVC. Le risque de diabète et de maladies cardiovasculaires sur 10 ans est élevé pour les femmes qui souffrent de diabète gestationnel. 56

La version définitive de cet article a été publiée dans l’International Journal of Stroke par SAGE Publications Ltd. © World Stroke Organization, 2017

Justification +-

L’AVC est une cause majeure d’incapacité neurologique chez l’adulte, de décès, ainsi que de morbidité et de mortalité maternelles dans les pays développés. Sur la base des données regroupées d’une méta-analyse récente (Swartz et coll. 2017), l’AVC touche 30 grossesses sur 100 000. Il s’agit d’un taux trois fois plus élevé que pour les jeunes adultes en général (10 sur 100 000 par année), et les résultats dépendent de la détection et de la prise en charge rapides. Pendant la grossesse, on observe une plus grande variation des types d’AVC, avec une augmentation relative des thromboses des sinus veineux et des hémorragies intracrâniennes. Par ailleurs, les causes les plus courantes chez les jeunes adultes (p. ex., dissection, complications cardiaques congénitales), les adaptations physiologiques à la grossesse (p. ex., hypervolémie, augmentation des facteurs de coagulation) et les troubles spécifiques de la grossesse (HELLP, prééclampsie) se combinent pour augmenter le risque d’AVC lors de la grossesse. L’AVC est suffisamment courant pour que la plupart des spécialistes qui dispensent des soins obstétricaux ou des soins de l’AVC rencontrent des femmes qui ont déjà fait un AVC et qui veulent devenir enceintes, ou qui font un AVC pendant ou immédiatement après la grossesse. Il est donc nécessaire d’adopter une approche rationnelle pour les décisions de prise en charge, basées sur la meilleure documentation scientifique disponible et guidée par un consensus d’experts.

Exigences pour le système +-
  • Mise en place de systèmes pour permettre aux femmes qui commencent ou planifient une grossesse d’avoir accès aux soins prénatals appropriés.
  • Établissement de relations de collaboration entre les obstétriciens, les experts en médecine maternelle et fœtale et les spécialistes de l’AVC permettant d’optimiser l’accès et la prise en charge des femmes victimes d’AVC avant, pendant ou immédiatement après la grossesse.
  • Développement de systèmes de collecte de données pour surveiller les femmes victimes d’AVC avant, pendant ou immédiatement après une grossesse permettant d’améliorer les connaissances sur l’innocuité et l’efficacité des approches de prise en charge, et de favoriser l’amélioration de la qualité et les modifications des systèmes.
  • Promotion des essais contrôlés randomisés ou de vastes études observationnelles de la population, lorsque c’est possible, pour combler les lacunes dans les connaissances et accroître la capacité pour passer d’un énoncé de consensus à une ligne directrice de pratique clinique fondée sur des données probantes.
Indicateurs de rendement +-
  1. Proportion de femmes avec des antécédents d’AVC qui ont subi un AVC récurrent pendant la grossesse ou au début du post-partum.
  2. Proportion de femmes avec des antécédents d’AVC qui ont expérimenté un changement dans leurs capacités neurologiques (physiques, cognitives ou fonctionnelles) pendant la grossesse ou au début du post-partum (qu’il soit positif ou négatif).
  3. Mortalité maternelle due à la grossesse chez les femmes avec des antécédents d’AVC.
  4. Proportions et taux d’effets indésirables sur le fœtus et les résultats néonatals : anomalies congénitales, accouchement prématuré, morbidité et mortalité périnatales et pernatales.
Sommaire des données probantes +-

Prévention secondaire de l’AVC pendant la grossesse

Réduction du risque vasculaire 

Cette section se centre sur les problèmes de prévention des AVC rencontrés par des femmes qui ont déjà fait un AVC et qui veulent devenir enceintes, sont enceintes ou qui font un AVC pendant la grossesse, mais ont dépassé la phase hyperaiguë. En raison de changements dans l’hémodynamique et la coagulation, il existe un risque accru d’accidents vasculaires cérébraux durant la grossesse. On trouvera ci-dessous une synthèse des données probantes associées à la prise en charge des stratégies de prévention secondaire couramment utilisées, y compris les antithrombotiques (antiplaquettaires et anticoagulants), la prise en charge de la pression artérielle et du cholestérol, et les soins du diabète.

Antithrombotiques 

Il a été démontré que l’aspirine réduit le risque d’événements vasculaires futurs chez les personnes à risque élevé, mais son utilisation pour la prévention de l’AVC pendant la grossesse n’a pas été spécifiquement étudiée. L’aspirine à faible dose a été davantage étudiée dans le cas de problèmes liés à la grossesse, tels que la perte de grossesse récurrente, les troubles de la coagulation ou la prééclampsie. On a examiné le bénéfice potentiel de l’aspirine à faible dose chez des femmes à risque élevé présentant des antécédents d’un à deux avortements antérieurs (essai EAGeR, Schisterman et coll., 2014). Les résultats de cet essai ont indiqué que parmi les femmes essayant de devenir enceintes, il n’y avait aucune différence entre les groupes (81 mg d’aspirine par jour contre placebo) dans le nombre d’avortements (13 % contre 12 %, RR = 1,06, IC à 95 % 0,77-1,46, p = 0,78). Dans une méta-analyse incluant les résultats de trois essais, l’aspirine à faible dose n’était pas associée à une réduction du risque de prééclampsie, de prééclampsie grave ou de naissance prématurée (Roberge et coll., 2016). Plus récemment, les résultats de l’essai ASPRE (Rolnik et coll., 2017) semblent indiquer que la prise d’aspirine à faible dose (150 mg par jour), amorcée entre 11 à 14 semaines de gestation jusqu’à 36 semaines, est associée à un risque réduit de prééclampsie lors de l’accouchement avant 37 semaines, comparé au placebo (RC = 0,38, IC à 95 % 0,20-0,74, p = 0,04), sans risque accru d’événements indésirables.

L’innocuité de l’aspirine à faible dose pendant la grossesse est bien établie. Nørgard et coll. (2005) ont rapporté les résultats pour 3 415 enfants présentant quatre anomalies congénitales, qui ont été incluses dans un registre national des anomalies congénitales. Comparativement à un groupe de référence composé de 19 428 enfants présentant d’autres anomalies congénitales, l’exposition à l’aspirine n’a pas augmenté notablement les probabilités pour l’une des quatre anomalies congénitales (y compris les anomalies du tube neural, l’omphalocèle et la gastroschisis, la fente labiale ou palatine). Une méta-analyse incluant les résultats de 22 études contrôlées a donné des résultats similaires (Kozer et coll., 2002). En regroupant les résultats de huit et six études, les probabilités globales de malformations congénitales ou de malformations cardiaques n’étaient pas notoirement plus élevées dans le groupe exposé à l’aspirine (RC = 1,33, IC à 95 % 0,94-1,89, p = 0,11 et RC = 1,01, IC à 95 % 0,91-1,12, p = 0,80, respectivement). Cependant, l’incidence de gastroschisis était sensiblement plus élevée dans le groupe exposé à l’aspirine (RC = 2,37, IC à 95 % 1,44-3,88, p = 0,0006). Il existe un risque théorique de syndrome de Reye associé à la prise d’aspirine pendant la grossesse, mais aucun signalement ne le confirme.

Certaines conditions, notamment la présence de valvules cardiaques artificielles, ou les maladies liées à l’hypercoagulabilité nécessitent une thromboprophylaxie en continu, ou son initiation pendant la grossesse. L’héparine de faible poids moléculaire (HFPM) et l’héparine non fractionnée (HNF), qui ne traversent pas la barrière placentaire, sont les anticoagulants connus les plus sûrs durant la grossesse. Les antagonistes de la vitamine K (AVK) sont classés comme substance de la catégorie X par la FDA. Leurs risques et leurs avantages doivent être soigneusement évalués, car leur utilisation a été associée à un risque accru de fausse couche, d’effets tératogènes au premier trimestre et de saignements à la fois pour le fœtus et la mère. Lors de l’analyse systématique de 28 études portant sur la prise d’anticoagulants oraux par des femmes enceintes porteuses de valves cardiaques mécaniques, Chan et coll. (2000), ont signalé que même si leur prise était plus efficace pour la prophylaxie thromboembolique, la fréquence des anomalies congénitales atteignait 6,4 %. Lors d’une analyse plus récente, Xu et coll. (2016) ont inclus les résultats de 51 études (2 113 grossesses) sur des femmes ayant suivi un traitement anticoagulant lié à la prise en charge des valves cardiaques mécaniques. La fréquence des anomalies congénitales du fœtus associées à la prise d’AVK était de 2,13 % et de 0,68 % pour les AVK à faible dose. Dans les groupes de traitement par HFPM ou par HNF, aucune anomalie fœtale n’a été relevée. Les événements thromboemboliques chez la mère et les décès maternels étaient plus faibles dans le sous-groupe des AVK à faible dose (1,14 % et 0,31 %, respectivement). La survenue d’événements thromboemboliques chez la mère et les principaux événements hémorragiques prénatals était plus élevée dans le groupe de l’HNF (29,9 % et 5,3 %, respectivement). Comparativement au régime AVK à faible dose, l’incidence de l’avortement spontané et de l’embryopathie due à la warfarine était nettement plus élevée par rapport au groupe AVK à haute dose. 

Pour la prévention des complications de la grossesse associées aux thrombophilies, on a également examiné la prise d’anticoagulants, mais leur efficacité n’a pas été démontrée. Les résultats de l’étude sur la prophylaxie de la thrombophilie pendant la grossesse (TIPPS) indiquent que chez les femmes enceintes présentant une thrombophilie à haut risque de complications, l’administration antépartum prophylactique de daltéparine n’a pas réduit le risque de thromboembolie veineuse ni de complications de grossesse placentaires (Rodger et coll., 2014). Lors de cet essai, 292 femmes enceintes ont été réparties de manière aléatoire pour recevoir 5 000 UI de daltéparine une fois par jour, de la randomisation jusqu’à 20 semaines de gestation, puis la même dose deux fois par jour jusqu’à 37 semaines de gestation versus aucune de prise de daltéparine. Le critère d’évaluation principal, un composite comprenant thrombose veineuse profonde proximale, embolie pulmonaire ou mort subite de la mère, prééclampsie grave ou précoce, oligurie, œdème pulmonaire, coagulopathie, naissance d’un nourrisson petit pour l’âge gestationnel ou avortement, n’était pas grandement réduit dans le groupe de la daltéparine (différence de risque de -1,8 %, IC à 95 % -10,6 % -7,1 %, p = 0,70). Il n’y avait pas non plus de différence significative entre les trois groupes de traitement (HFPM, AAS ou association de ces deux médicaments) dans le pourcentage de naissances vivantes lors de l’essai HABENOX (Visser et coll., 2011). 

Hypertension

Les femmes souffrant de troubles hypertensifs lors de la grossesse sont exposées à un risque supérieur d’AVC, particulièrement celles qui présentent les facteurs de risque classiques (Leffert et coll., 2015), par conséquent un traitement de l’hypertension modérée à sévère s’avère crucial pour obtenir un résultat favorable. Un nombre limité d’agents, entre autres la méthyldopa, le labétalol et la nifédipine, sont connus pour leur innocuité et leur efficacité pendant la grossesse. Le bénéfice potentiel d’un régime strict par rapport à un régime moins strict chez les femmes présentant une hypertension diastolique modérée (90 à 105 mm Hg) a été évalué lors de l’étude sur le contrôle de l’hypertension artérielle pendant la grossesse (CHIPS) (Magee et coll., 2015). La fréquence de l’hypertension grave était notoirement plus élevée chez les femmes du groupe témoin avec un régime moins strict. Toutefois, il n’y avait pas de différence importante entre les groupes en fonction de la fréquence d’un des composants du critère d’évaluation principal (fausse couche, grossesse extra-utérine, interruption élective, mort périnatale, mortinatalité ou soins néonatals de haut niveau). La fréquence des complications maternelles graves n’était pas notoirement plus faible chez les femmes du groupe témoin à régime strict (2,0 % vs 3,7 %, RC corrigé = 1,74, IC à 95 % 0,79-3,84). Dans le groupe témoin à régime strict, un seul accident vasculaire cérébral/AIT a été rapporté versus aucun dans le groupe témoin à régime moins strict. Une étude de Cochrane (Abalos et coll., 2013) incluant 48 ECR (4 723 femmes) a évalué le traitement antihypertenseur pour l’hypertension légère à modérée pendant la grossesse, définie comme pression systolique de 140 à 169 mm Hg et pression diastolique de 90 à109 mm Hg. Les contrastes en matière de traitement ont comparé ≥ un antihypertenseur versus un placebo ou aucun antihypertenseur (n = 29), et un antihypertenseur par rapport à un autre (n = 22), avec une durée de traitement d’au moins 7 jours. Par rapport aux femmes n’ayant reçu aucun traitement, le risque d’hypertension sévère était significativement réduit dans le groupe de traitement actif. Alors que le risque de prééclampsie/protéinurie n’était pas significativement réduit dans le groupe de traitement actif (RR = 0,93, IC à 95 % 0,80-1,08, p = 0,34), dans le sous-groupe des bêta-bloquants, le risque de développer une protéinurie/prééclampsie était significativement réduit (RR = 0,73, IC 95 % 0,57-0,94). Les risques de décès fœtal ou néonatal, d’accouchement prématuré ou de naissance d’un nourrisson petit pour l’âge gestationnel n’étaient pas notablement réduits chez les femmes sous traitement antihypertenseur. En ce qui concerne le traitement préventif pour l’hypertension pendant la grossesse, l’étude Cochrane incluant 13 ECR chez des femmes non hypertendues a examiné l’efficacité d’une supplémentation en calcium pour réduire le risque de troubles hypertensifs durant la grossesse (Hofmeyr et coll., 2014). Les femmes ont été randomisées pour recevoir un supplément de calcium à forte dose (≥ 1 g/jour) ou à faible dose (<1 g/jour) ou un placebo, jusqu’à l’accouchement. La supplémentation en calcium fortement dosée était associée à des risques grandement réduits d’hypertension (RR = 0,65, IC à 95 % 0,53-0,81, p <0,0001) et de prééclampsie (RR = 0,45, IC à 95 % 0,31-0,65, p <0,0001). La supplémentation en calcium à faible dose a également été associée à un risque sensiblement réduit d’hypertension (RR = 0,53, IC à 95 % 0,38-0,74, p <0,0001). 

Prise de statines

Bien que les bienfaits de l’utilisation des statines en prévention secondaire soient bien établis, le traitement par statines n’est généralement pas justifié pendant la grossesse, car l’altération du métabolisme lipidique est une adaptation physiologique de la grossesse. Le développement de certaines cellules (p. ex., la myéline) et l’accumulation de graisse chez le fœtus dépendent du métabolisme des lipides. Les statines ont été classées dans la catégorie X pendant la grossesse et sont contre-indiquées compte tenu de leur potentiel tératogène. Plusieurs rapports ont été publiés comparant les résultats pour des femmes exposées accidentellement aux statines pendant la grossesse avec ceux de femmes non exposées. Certaines études ont montré des résultats ambigus qui suggéraient que l’utilisation de statines, en particulier au cours du premier trimestre, est associée à des résultats fœtaux et maternels défavorables. Dans la plus grande étude de cohorte (Bateman et coll., 2015), l’utilisation de statines était associée à un risque significativement accru d’anomalies congénitales dans l’analyse non ajustée (RR = 1,79, IC de 95 % 1,43-2,23), mais cet effet n’était plus observé dans une analyse utilisant les scores de propension, ajustée pour l’âge, le diabète et d’autres facteurs de confusion (RR = 1,07, IC à 95 % 0,85-1,37). Dans une méta-analyse, Zarek et Koren (2014) ont inclus les résultats de six études contrôlées et conclu que la prise de statines pendant la grossesse n’était pas associée à un risque accru de malformations congénitales (RR = 1,15, IC à 95 % 0,75-1,76, p = 0,52), malgré une augmentation significative du risque de fausse couche (RR = 1,35, IC à 95 % 1,04-1,75). Dans une étude cas-témoin, Winterfeld et coll. (2013) ont signalé que la fréquence des anomalies congénitales majeures n’était pas notablement plus élevée dans le groupe exposé aux statines (4,1 % vs 2,7 %, RC = 1,5, IC à 95 % 0,5-4,5, p = 0,43), tandis que les fréquences d’accouchement prématuré, de fausse couche ou de mort fœtale étaient significativement plus élevées dans le groupe exposé aux statines. Plus récemment, Karalis et coll., (2016) ont examiné les résultats de 16 séries de cas, études de cohorte, méta-analyses et ECR, et conclu qu’il n’y avait aucune preuve claire d’une relation entre les anomalies congénitales et l’utilisation de statines pendant la grossesse, ce qui les a amenés à suggérer qu’elles n’étaient probablement pas tératogènes tout en recommandant d’éviter leur utilisation. 

Diabète

Les femmes souffrant de diabète gestationnel courent un risque accru d’AVC prénatal (Scott et coll., 2012, James et coll., 2005), et peuvent présenter un risque d’AVC jusqu’à 7 ans après l’accouchement (Goueslard et coll., 2016). Dans les études qui ont examiné la relation entre le diabète gestationnel et le risque futur de maladie cardiovasculaire, y compris l’AVC, la force de la relation est atténuée après ajustement pour l’âge et le diabète ou la ménopause ultérieurs (Archambault et coll., 2014, Savitz et coll., 2014, Shah et coll., 2008). Il a été démontré qu’une alimentation à indice glycémique faible réduit significativement la glycémie à jeun et la glycémie postprandiale à deux heures comparativement à un groupe témoin consommant des aliments à indice glycémique intermédiaire ou élevé chez les femmes atteintes de diabète gestationnel, sans antécédents de diabète (Ma et coll., 2014). Une cible de glycémie postprandiale d’une heure <7,8 mmol/L a été associée à de bons résultats et a été suggérée comme une cible raisonnable pour les femmes atteintes de diabète gestationnel (Thompson et coll., 2013).

Considérations pour la prise en charge des étiologies spécifiques d’AVC pendant la grossesse

Il existe peu de données sur la prise en charge de certains cas d’AVC ischémique survenant pendant une grossesse, comme l’AVC d’origine cardioembolique, la thrombose du sinus veineux cérébral (TSVC), la dissection des artères cervicales, le syndrome des antiphospholipides (SAPL) et l’AVC cryptogénique. L’ensemble des données est en grande partie composé de rapports de cas et de séries de cas. Indépendamment de l’étiologie, le traitement par anticoagulants oraux ou antiplaquettaires (aspirine) semble être une pratique courante. 

En dehors de la grossesse, les dissections des artères cervicales sont habituellement traitées avec un antagoniste de la vitamine K ou un antiplaquettaire (aspirine) pendant trois à six mois. Les rapports de cas de femmes traitées pour des dissections carotidiennes et vertébrales survenant pendant la période prénatale et au début de la période post-partum indiquent que les mêmes stratégies de prise en charge sont utilisées (Shanmugalingam et coll., 2016, Baffour et coll., 2012, Waidelich et coll., 2008) sans effets indésirables rapportés pour la mère ou le nouveau-né. La prise d’anticoagulants ou d’antiplaquettaires parmi une série de 62 femmes ayant présenté une TSVC pendant la grossesse a été rapportée par Ciron et coll., (2013). Les stratégies de prévention employées lors des grossesses subséquentes comprenaient l’absence de traitement (n = 3), un traitement anticoagulant pendant toute la grossesse, avec ou sans aspirine; un traitement anticoagulant au cours du 3e trimestre de grossesse, avec ou sans aspirine; un traitement anticoagulant pendant toute la grossesse et la période puerpérale. Demir et coll. (2013) ont rapporté 19 cas de TSVC associés à la grossesse et ont noté que toutes les femmes étaient traitées par HFPM (énoxaparine) à une dose de 95 UI/kg deux fois par jour pendant la durée de la grossesse. L’aspirine et la warfarine ont toutes deux été utilisées en prévention secondaire chez 68 femmes qui avaient déjà souffert d’une thrombose du sinus veineux cérébral avant leur grossesse (Lamy et coll., 2000).

Ressources AVC